Retour à la page d'accueil
Ouverture de l’océan Alpin et évolution de sa marge continentale passive européenne au Mésozoïque

L’anomalie magnétique la plus ancienne indique que l’océan Atlantique Central naquit à la fin du Jurassique moyen (Callovien), vers 165 Ma. L’Afrique et l’Amérique du Sud, solidaires, coulissèrent vers l’ESE le long d’une zone transformante : Terre Neuve-Açores-Gibraltar. Dans le même temps, s’ouvrit l’océan Alpin (Liguro-Piémontais ou Téthys ligure) entre le microcontinent Apulo-adriatique (actuellement la péninsule italienne et le soubassement de la mer Adriatique) d’un côté, et l’Europe et l’Ibérie, de l’autre.

Ces ouvertures de l’océan Atlantique Central et de l’océan Liguro-Piémontais, constituaient les premières déchirures continentales avec océanisation au sein de la Pangée.

Au Crétacé supérieur (~ 85 Ma), l’Atlantique Central avait atteint une largeur de 2 000 Km à la latitude de Gibraltar, l’océan Alpin, quant à lui, était probablement resté étroit (quelques centaines de kilomètres).

Trois principaux stades de l'évolution palinspastique de la Téthys ligure et de l'océan Atlantique

Trois principaux stades de l'évolution palinspastique de la Téthys ligure et de l'océan Atlantique. Lemoine (1989)
Cliquer sur l'image pour l'agrandir

Bajocien - Plaques

Hauterivien - Plaques
Cliquer sur l'image pour l'agrandir
Cliquer sur l'image pour l'agrandir
Carte des plaques tectoniques pour la Téthys alpine avec le mouvement des plaques par rapport à la plaque Europe considérée comme fixe au Bajocien et à l'Hauterivien (Handy et al., 2010).

Alkapecia = microplaque regroupant le Rif, les Cordières Bétiques, les Kabylies, les monts Péloritains et la Calabre ; Alcapia = microplaque regroupant les Alpes orientales, les Carpates et le Bassin Pannonien. En vignette dans le coin en haut et à gauche les domaines présentant une lithosphère océanique.

Le rifting, qui s’est déroulé du Trias supérieur jusqu’à la fin du Dogger, marque le début du cycle alpin.

Des structures tectoniques caractéristiques d’une extension : failles normales, blocs basculés, diapirs évaporitiques se mirent en place, dans notre région, sur la marge européenne en cours de création, pour certaines dès la fin du Trias (~225 Ma) et surtout du début du Lias (~205 Ma) à la fin du Dogger, date de l’océanisation (~165 Ma).

La direction globale d’extension était orientée NW-SE. Certaines des failles normales, délimitant des blocs basculés d'orientation NW-SE, sont parallèles à des failles tardi-varisques (failles des Cévennes, du Pilat, …) limitant certains bassins sédimentaires permo-carbonifères (bassin houiller de Saint-Etienne, bassins houillers alpins de Briançon et de la Mure…). Le rifting s’accompagne d’un magmatisme appartenant essentiellement à la série alcaline, dispersé dans le temps et l’espace, de nature variée : manifestations aériennes (dépôts de cinérites et de tufs volcaniques, coulées), sous-aquatiques métamorphisées dans le faciès des schistes verts (spilites) ou intrusives (sills, dykes).

L’activité tectonique s’est faite par à-coups, séparés par des intervalles de calme. La dernière phase de ce rifting saccadé provoqua la rupture continentale et l’ouverture de l’océan. Elle a été suivie par la subsidence thermique de la marge continentale passive.

L’individualisation de blocs basculés a déterminé une alternance de bassins et de hauts-fonds. Dans les bassins (hémi-grabens) se déposaient des sédiments jurassiques épais et de mer relativement profonde, calcaires et marnes à ammonites et bélemnites avec parfois des olistolithes, blocs écroulés depuis l’escarpement de faille, alors que sur les hauts-fonds, c’est-à-dire les sommets des blocs basculés, la sédimentation était mince et de mer peu profonde voire localement absente (îles).

Le fonctionnement des failles normales et le basculement des blocs crustaux (tilting) peuvent être identifiés sur le terrain par des marqueurs tectono-sédimentaires : failles normales scellées, sédimentation en éventail, brèches syntectoniques, olistolithes, remaniements gravitaires (turbidites, slumps), indices d’à-coups de subsidence (modifications rapides des milieux de dépôts sédimentaires, traduisant un approfondissement rapide lié à la subsidence tectonique) ou d’émersion temporaire (blocs basculés dont le sommet, au cours de leur rotation, s’est élevé au-dessus du niveau marin).

Il semble qu’il n’y ait pas eu de doming précédant ou accompagnant le rifting : on a affaire à un rifting passif.

Le stade le plus précoce d’étirement (Trias supérieur) a induit une invasion marine pelliculaire sur de très grandes surfaces, lieux d’une sédimentation d’argilites bariolées et d’évaporites (gypse, anhydrite et halite) qui ont joué un rôle tectonique primordial (niveau de décollement) lors de la phase tangentielle éocène de l’orogenèse pyrénéo-provençale.

La poursuite au Jurassique de l’étirement de la croûte continentale a conduit à la naissance de structures de deux ordres: des blocs basculés (larges de 5 à 20 km) et deux bassins subsidents (larges d’une centaine de km). Au nord-ouest, le bassin Dauphinois se caractérise par une sédimentation pélagique avec des dépôts dépassant 3 000 mètres de puissance (les « terres noires » d’âge Bathonien supérieur à Oxfordien inférieur) et, au sud-est, le bassin Liguro-Piémontais où se sont accumulés les sédiments océaniques (tels les futurs schistes lustrés). Ces deux bassins étaient séparés par un large domaine qui a été tantôt un haut-fond sous-marin, tantôt une île, la zone Briançonnaise où la sédimentation révèle toute la panoplie des caractères d’une telle zone : série réduite avec des lacunes sédimentaires dénotant des épisodes d’émersion matérialisés par des processus de karstification, et des surfaces indurées (hardgrounds), généralement ferrugineux et phosphatés, résultant d’arrêts de la sédimentation.
Coupe de l'océan Liguro-Provençal au Malm
Cliquer sur l'image pour l'agrandir
Représentation schématique d'une étape (Malm) de la naissance et de l'évolution de l'océan Alpin (adapté de Boillot et al., 1984)

Le domaine correspondant à la Provence faisait partie du Bassin Dauphinois, complexe car compartimenté en plusieurs sous-bassins par des failles d’orientation SW-NE ayant joué au cours de la sédimentation et par le haut-fond du Verdon sur lequel se développèrent des formations carbonatées entaillées de nos jours par les célèbres gorges éponymes.
Reconstitution paléogéographiques du Sud-Est de la France au Jurassique inférieur et moyen
Cliquer sur l'image pour l'agrandir
Reconstitution paléogéographique schématique du sud-est de la France au Jurassique inférieur et moyen. Les socles hercyniens, actuellement à l’affleurement (en rose) et seulement tracés en tant que repères car ils ne sont pas à leur place de la période Jurassique, pouvaient être partiellement ou totalement immergés. Floquet (2020) modifié et adapté d’après Dubois & Delfaud (1989).

Le canevas paléogéographique post-rifting de l’océan Alpin du Jurassique supérieur au Crétacé inférieur

La subsidence thermique post-rifting se traduisit par une généralisation des dépôts de mer profonde sur toute la marge européenne et par la submersion des secteurs antérieurement émergés.

La paléogéographie peut alors se résumer par :

- une plate-forme européenne installée sur une lithosphère non amincie (plateau continental) recevant des dépôts carbonatés, généralement épais (1000 à 2000 mètres) connus des Causses au Jura et au-delà à l’est ;
- une marge continentale passive (talus continental) avec des hauts-fonds et des bassins hérités du rifting (au nord-ouest, le bassin Vocontien et le bassin Piémontais au sud-est encadrant le haut-fond briançonnais) subissant la subsidence thermique, s’ennoie sous une épaisse sédimentation pélagique à hémiplégique post-rift ;
- le domaine océanique stricto sensu liguro-piémontais (plaine abyssale).
Coupe schématique de l'océan Liguro-Provençal au Jurassique
Cliquer sur l'image pour l'agrandir
Coupe de l'océan Liguro-Piémontais et de ses marges continentales (la plate-forme Provence-Corse relaie au sud le haut-fond briançonnais). Échelle approximative. Lemoine et al., 2000

Sur la marge Apulo-Africaine de l’océan Alpin, les Grisons en Suisse orientale et dans les Alpes méridionales italiennes (Trentin, Haut-Adige), les structures syn-rift et l’âge des dépôts pré, syn et post-rift sont comparables à ceux de la marge européenne.

À partir du Valanginien, le bassin Vocontien est marqué par la mise en place d’une sédimentation pélagique synchrone du développement à grande échelle de plates-formes carbonatées à rudistes peu profondes et progradantes sur les bordures du bassin. C’est le faciès urgonien dont l’âge peut aller, en Provence, de l’Hauterivien à l’Aptien inférieur. Trois principales plates-formes urgoniennes se sont mises en place sur les marges du bassin Vocontien : au nord, la plate-forme du Jura-Dauphiné ; à l’ouest, la plate-forme du Bas-Vivarais et au sud, la plate-forme Provençale.

Le bassin Vocontien est le siège de dépôts rythmiques marno-calcaires à grain fin, dont la puissance peut atteindre localement jusqu'à 4 000 m. Leur âge s’étend jusqu'à la fin du Turonien dans la partie occidentale et jusqu'à la fin du Crétacé dans le domaine oriental. Les alternances bancs-interbancs, d'épaisseur pluri-décimétrique, sont corrélables banc à banc sur de grandes distances. Ces rythmes marno-calcaires sont liés aux variations des teneurs en carbonate de calcium des sédiments résultant de variations cycliques climatiques, à relier aux variations d'ensoleillement conséquentielles de modifications périodiques des paramètres de l'orbite terrestre autour du Soleil (cycles de Milankovic). Un double banc marne-calcaire correspondrait à un ensemble minimum-optimum climatiques d’une durée de 21 000 ans.

Reconstitution paléogéographique Jurassique supérieur
Cliquer sur l'image pour l'agrandir
Reconstitution paléogéographique schématique du sud-est de la France au Crétacé inférieur. Une plate-forme carbonatée peu profonde dite « Plate-Forme Provençale » (en jaune) prend la place du S.B. Sud-Provençal antérieur dans le sud-est du département. Cette plate-forme passe rapidement vers le nord et l’ouest du département aux environnements profonds du nouveau Bassin Vocontien (en bleu). Floquet (2020) adapté d’après Dalmasso (2000) et Dalmasso & Floquet (2001).

Les témoins de l’océan Alpin disparu

Les ophiolites des Alpes, de Corse et de l’Apennin correspondent aux restes de la lithosphère de l’océan Liguro-Piémontais. Ces ophiolites présentent toutes les mêmes caractéristiques qui les apparentent à la lithosphère d’un océan à expansion lente comme l’Atlantique actuel : absence de véritable complexe filonien, faible volume de gabbros, basaltes en coussins (basaltes tholéiitiques de type MORB, Mid-Ocean Ridge Basalt). Les types de roches sédimentaires sont à mettre en relation avec les variations de profondeurs de l’océan alpin : radiolarites provenant de sédiments pélagiques ayant pour origine des boues siliceuses à radiolaires (dépôts situés sous le niveau de compensation des carbonates) et calcschistes (schistes lustrés), anciennes boues à globigérines et argiles. Radiolarites et calcschistes, métamorphisés dans le faciès des schistes bleus lors de l'orogenèse alpine, reposent sur un manteau lithosphérique dénudé, ayant subi une faible fusion partielle (lherzolites) et serpentinisé.


Des brèches ophiolitiques ou ophicalcites, les «marbres verts», s’intercalent entre les basaltes et les sédiments au-dessus des gabbros de la croûte et/ou des serpentinites du manteau lithosphérique. Certaines ophicalcites résultent d’une fracturation de la partie supérieure du manteau par surpression des fluides circulants avec remplissage sédimentaire de carbonates. D’autres ophicalcites correspondent à des remaniements sédimentaires de mylonites, roches issues du broyage des serpentinites le long des failles normales. En certains endroits (Saint-Véran), les ophicalcites sont associées à des dépôts de cuivre, natif ou sous forme de sulfures, provenant d’anciens « fumeurs noirs ».

Les premiers sédiments déposés sur la croûte océanique sont soit des radiolarites dont l’âge va du Callovien à l’Oxfordien (-165 à -155 Ma), soit des calcaires du Malm (-155 à -145 Ma). La durée de l’expansion océanique a donc été au minimum de l’ordre de 20 Ma, pour une largeur probable de quelques centaines de kilomètres ce qui implique une vitesse d’expansion de l’ordre de 5 à 10 mm/an. Il semble que l’expansion de l’océan Liguro-Piémontais ait débuté par une dénudation du manteau supérieur lithosphérique, suivie au bout d’un certain temps par l’installation d’une dorsale lente.

L’ennoiement de la plate-forme carbonatée à rudistes et la formation du bassin Sud-Provençal au Barrémien terminal et Aptien inférieur.


L’intervalle Barrémien terminal à Aptien inférieur marqua, en Provence méridionale, la généralisation d’environnements hémipélagiques, alors que subsistait en Provence septentrionale une plate-forme carbonatée à rudistes de facies urgonien.

Cette sédimentation argileuse (faciès «marnes bleues») traduit un net approfondissement de la mer à l’Aptien dans l’ensemble de la région, à mettre en relation avec le rifting fin Crétacé inférieur de l’Atlantique nord et du golfe de Gascogne. Elle présente une rythmicité obéissant aux cycles de Milankovitch. Ce rifting a affecté la marge européenne de l’océan Liguro-Piémontais avec la mise en place du bassin Valaisan, bras de mer éphémère et étroit entre l’Europe et l’Ibérie, relayé au SW par le rift Pyrénéo-Provençal non océanisé sauf loin à l’ouest près du golfe de Gascogne. Les ressemblances qui existent entre l’Aptien et l’Albien des Pyrénées et celui de Provence laissent à penser d’une mise en place du rift et de son annexe le bassin Sud-provençal dès la fin du Barrémien (existence de blocs basculés) entraînant l’ennoyage de la plate-forme carbonatée alors que cette dernière se perpétuait plus au nord (faciès urgonien d’âge Aptien inférieur). Les relations, à la limite Barrémien-Aptien, entre le bassin Sud-Provençal, annexe du rift Pyrénéo-Provençal, et le bassin Valaisan à l'est sont incertaines : bassins en pull-apart indépendants ou en communication intermittente.
Reconstitution des plaques lithosphériques à la limite Aptien-Barrémien

Carte paléogéographique du Sud-Est de la France au Barrémien

Cliquer sur l'image pour l'agrandir
Cliquer sur l'image pour l'agrandir
Carte des plaques tectoniques pour la Téthys alpine avec le mouvement des plaques par rapport à la plaque Europe considérée comme fixe à la limite Barrémien-Aptien (Handy et al., 2010) Carte paléogéographique du Sud-Est de la France à la limite Barrémien-Aptien (adapté de Tendil et al, 2018)- Localisation matérialisée par une étoile sur la figure ci-contre.


En toute logique, les temps aptiens en Basse-Provence ne s’inscrivent plus dans le cadre de l’évolution post-rift de la marge européenne de l’océan Alpin sous contrôle de la subsidence thermique. Ils doivent être rattachés au contexte géologique du grand évènement suivant «le rift Pyrénéo-Provençal (Crétacé supérieur), prolongement oriental en transtension du golfe de Gascogne, et son épaulement septentrional-est : le Bombement Durancien.»
     
1 - Le pré-rift
 
La sédimentation triasique
2 - Le rifting
 

Les marqueurs tectoniques


- failles normales
- blocs basculés
- diapirs évaporitiques 

Les marqueurs tectono-sédimentaires

-sédimentation en éventail
- brèches syn-tectoniques
- olistolithes
- remaniements gravitaires (turbidites, slumps)
- indices d’à-coups de subsidence
- indices d’émersions temporaires (karstification, hardgrounds, lacunes)

Les marqueurs magmatiques d'une déchirure continentale

- présence d’une série magmatique alcaline

Les faciès sédimentaires

- les zones de haut-fond (horsts)
- les zones profondes (hémi-grabens) ; les « terres noires »


3 - Le post-rift





 

Marqueurs d'une océanisation

- ophiolites
- indices d’activités d’une dorsale océanique

  • ophicalcites

  • fumeurs noirs

Marqueurs sédimentaires

- faciès marins profonds

  • radiolarites

  • calcschistes

  • rythmes marno-calcaires

- faciès de plates-formes carbonatées

• 12/2020 • Les auteurs • Les sources documentaires •
 Page précédente  Haut de page  Page suivante