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Crise de salinité messinienne et transgression pliocène

Un bassin évaporitique, datant de la fin du Miocène, maintenant recouvert de sédiments plio-quaternaires, occupe les grands fonds de la mer Méditerranée. C’est un des plus vastes bassins évaporitiques de l’histoire de la Terre. Il recouvre une superficie de 2 millions de km2 sur laquelle s'est accumulé plus d’un million de km3 d'évaporites (gypse, halite, sels de potassium et de magnésium), représentant environ 5% des sels totaux dissous dans l’océan mondial.

L’existence de ces énormes dépôts évaporitiques, détectés par sondages sismiques dès 1965, a été confirmée en 1970, par des forages océaniques profonds réalisés depuis le navire Glomar Challenger dans le cadre du programme « Deep Sea Drilling Project ». Ces forages ont permis, à partir des associations de foraminifères présentes dans les carottes, de préciser l’âge messinien de ces dépôts.

Distribution des évaporites dans le domaine méditerranéen

Distribution des évaporites dans le domaine méditerranéen (simplifié d’après Rouchy et Caruso, 2006, in thèse de R. Bourillot 2009)
Des datations astrochronologiques plus récentes et surtout plus précises, fondées essentiellement sur les variations des paramètres orbitaux terrestres (cycles de Milankovitch) à l’origine de changements cycliques du climat et de la sédimentation, indiquent que ce volume d’évaporites s’est accumulé en un intervalle de temps très court à l’échelle des temps géologiques, environ 500 000 ans, entre 5,97 Ma et le retour à des conditions marines normales à 5,46 Ma, un peu avant le début du Pliocène. Durant cet épisode, le niveau d’eau en Méditerranée s'est abaissé rapidement de l'ordre de 1500 m en dessous du niveau de l’océan mondial de l’époque.

La crise de salinité messinienne, au moins en Méditerranée Occidentale, se caractérise par deux stades évaporitiques successifs correspondant à deux temps de l’affaissement du niveau marin (G. Clauzon, 1996) :

- le premier stade débute à 5,97 Ma et s’achève autour de 5,62 Ma. Il correspond à une chute d’environ 150 m du niveau de la mer et a provoqué le dépôt d’évaporites dans des bassins périphériques peu profonds en bordure de la Méditerranée ;

- le deuxième stade correspond au paroxysme de la dessiccation de la Méditerranée avec une chute de l’ordre de 1500 m du niveau marin. Durant ce stade, les évaporites se sont déposées dans les bassins centraux, au fond de la Méditerranée.

Courbes du niveau océanique global et du niveau marin méditerranéen et stades de l’évènement
Courbes du niveau océanique global et du niveau marin méditerranéen et stades de l’évènement (simplifié d'après Suc et al., 2019).

Trois causes expliquent cette crise de salinité messinienne ou évènement messinien : une restriction tectonique des communications Atlantique-Méditerranée et la mise en place d'un arc volcanique situé à l'est de Gibraltar, conjuguées à une phase glaciaire globale caractérisée par l’expansion de la calotte Antarctique et impliquant une chute eustatique globale du plan d’eau en Méditerranée. Cette période glaciaire a débuté à 6,3 Ma pour atteindre son paroxysme à 5,8 Ma soit après le début de la crise de salinité messinienne. Le climat n’est donc pas la cause majeure, mais un facteur aggravant de cette crise. La crise se termine à 5,46 Ma un peu avant la limite mio-pliocène, par la rupture du seuil de Gibraltar provoquant un ré-ennoiement extrêmement rapide de la Méditerranée par les eaux océaniques de l’Atlantique.

Paléogéographie du bassin méditerranéen aux deux temps de la crise de salinité messinienne (5,97-5,60 Ma puis 5,60-5,46 Ma) et lors de la remise en eau (5,46 Ma)
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Paléogéographie du bassin méditerranéen aux deux temps de la crise de salinité messinienne (5,97-5,60 Ma puis 5,60-5,46 Ma) et lors de la remise en eau (5,46 Ma) (Suc et al. 2019, modifié). On notera le tracé du paléofleuve de Kufrah, comparable en taille au Nil et au cours parallèle à l’ouest dont l’existence a été détectée, en 2008, sous les dunes de l’actuel désert de Libye, grâce à l’analyse de données de systèmes imageurs radar embarqués sur certains satellites en orbite autour de la Terre.

Le cadre géodynamique global
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Les apports d’eau douce des fleuves du bassin méditerranéen ne suffisant pas à compenser l’évaporation, la fermeture tectonique des communications Atlantique-Méditerranée, conduit à la restriction de la Méditerranée et amène au dépôt des évaporites. Cette fermeture tectonique s’inscrit dans l’évolution géodynamique de la Méditerranée occidentale qui, du Cénozoïque à l’actuel, est contrôlée par deux phénomènes : la subduction vers le nord de la plaque Afrique sous la plaque Eurasie et les retraits de panneaux plongeants de lithosphère océanique en subduction (slab roll-back).

À la limite Éocène – Oligocène, autour de 35 Ma, la subduction océanique alpine, au nord, atteignit le stade de subduction continentale : la plaque Adriatique (Apulie) entre alors en collision avec l’Eurasie. Le front de subduction de la Téthys Occidentale était situé le long des côtes est-espagnoles, auxquelles étaient accolés les blocs continentaux des Baléares, Sardaigne et Corse. Sur la marge Est de ces blocs se trouvait le domaine ALKAPECA, incluant les massifs cristallins internes des Cordillères Bétiques, du Rif, des Kabylies, des monts Péloritain et de Calabre.

Reconstitution cinématique du bassin Algéro-Provençal et du bloc continental ALKAPECA entre 30 et 5 Ma, dans le contexte de l'évolution de la Méditerranée occidentale
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Reconstitution cinématique du bassin Algéro-Provençal et du bloc continental ALKAPECA entre 30 et 5 Ma, dans le contexte de l'évolution de la Méditerranée occidentale (d’après M. Medaouri, 2014, Oudet J., Faralli A., Romeuf N., 2021. Corse et Sardaigne larguent les amarres et prennent le large, in Bourideys J. [coord.], 2021 – Roches et paysages des Bouches du Rhône. BRGM Editions, Orléans).

Le retrait de la plaque plongeante Téthysienne (« slab roll-back ») s’initie d’abord vers le sud, puis, après la collision du bloc Kabylie avec la marge Nord-Africaine et son accrétion à cette dernière, le slab se déchire en deux avec création d’une faille de déchirure lithosphérique « STEP » (Subduction Transform Edge Propagator) : un pan se retire vers l’est et l’autre vers l’ouest.

Carte schématique illustrant la migration du front de subduction vers l'est et vers l'ouest ainsi que la propagation de la déchirure du slab lors de son retrait le long des côtes nord de la plate-forme maghrébine
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Carte schématique illustrant la migration du front de subduction vers l'est et vers l'ouest ainsi que la propagation de la déchirure du slab lors de son retrait le long des côtes nord de la plate-forme maghrébine. Modifié d'après Spakman et Wortel (2004) , Missenard (2007)

Profils tomographiques dans la manteau de la Méditerranée occidentale
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Profils tomographiques dans la manteau de la Méditerranée occidentale (Spakman et Wortel, 2004)

A. Profil traversant la mer d'Alboran et le bassin Algérien. B. Section à l'aplomb de la mer Tyrrhénienne. Les échelles verticales et horizontales sont identiques. Sur la coupe B, les points blancs indiquent les séismes profonds de magnitude supérieure à 4.8. Les couleurs représentent le pourcentage de variations des vitesses des ondes sismiques. Une zone de variation positive (respectivement négative) correspond à une zone froide (respectivement chaude) (Goes et al., 2000).

Reconstitution cinématique du bassin Algéro-Provençal et du bloc continental ALKAPECA entre 30 et 5 Ma, dans le contexte de l'évolution de la Méditerranée occidentale 17 Ma
Reconstitution cinématique du bassin Algéro-Provençal et du bloc continental ALKAPECA entre 30 et 5 Ma, dans le contexte de l'évolution de la Méditerranée occidentale 5 Ma
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Reconstitution cinématique du bassin Algéro-Provençal et du bloc continental ALKAPECA entre 30 et 5 Ma, dans le contexte de l'évolution de la Méditerranée occidentale (d’après M. Medaouri, 2014, Oudet J., Faralli A., Romeuf N., 2021. Corse et Sardaigne larguent les amarres et prennent le large, in Bourideys J. [coord.], 2021 – Roches et paysages des Bouches du Rhône. BRGM Editions, Orléans).

Le retrait de ces slabs de plaques en subduction provoque l’ouverture de plusieurs bassins océaniques arrière-arcs : les bassins Liguro-Provençal et du golfe de Valence dans un premier temps, puis le bassin Algérien et enfin le bassin Tyrrhénien.

Le retrait du front de subduction de la Téthys Occidentale s’explique par la conjonction de trois facteurs : la diminution de la vitesse de convergence absolue entre plaques africaine et eurasiatique, le blocage de l’extrémité du slab au niveau de la discontinuité des 670 km du manteau et sa verticalisation liée à sa densification avec l’âge de la lithosphère océanique subduite.

Évolution paléogéographique de la connectivité Atlantique-Méditerranée du Miocène supérieur au Pliocène
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Évolution paléogéographique de la connectivité Atlantique-Méditerranée du Miocène supérieur au Pliocène. (modifié d'après W. Krijgsman et al. 2018). Les flèches bleues représentent les paléocourants.

Jusqu'à la fin du Tortonien existaient, au sud de l'Espagne (corridor bétique) et au nord du Maroc (corridor rifain), des connexions entre l’océan Atlantique et la mer Méditerranée à travers le réseau d’îles d’un archipel lié à un arc volcanique en relation avec la zone de subduction océanique à l’ouest. Des données sismiques récentes (2018) montrent l’existence dans le bassin océanique Est-Alboran d'un arc volcanique bien différencié. Ces corridors bétique et rifain se seraient progressivement fermés au cours du Miocène récent par suite de la dérive vers l’ouest de la microplaque Alboran issue de la dislocation du bloc lithosphérique ALKAPECA.

Il n'y a aucune preuve de connexion méditerranéen-atlantique via l'Espagne ou le Maroc après le Messinien inférieur. Le slab roll-back de la zone de subduction de la Méditerranée occidentale sous l'arc de Gibraltar s'est arrêté à la fin du Tortonien. Des soulèvements tectoniques liés à la collision du bloc Alboran avec l'Ibérie et l'Afrique, responsable de la structuration des chaînes montagneuses des Cordillères Bétiques en Espagne et du Rif au Maroc, restreignirent drastiquement l’approvisionnement en eau de l’Atlantique vers la Méditerranée.

Le grand volume d'évaporites constaté en Méditerranée nécessite toutefois qu'une ou plusieurs liaisons maritimes avec l'Atlantique aient existé. En effet, l’évaporation d'une tranche d'eaux méditerranéennes de 1 500 à 2 000 mètres n'aurait pu aboutir qu’à un dépôt évaporitique d’à peine 25 à 35 mètres d’épaisseur. Les dépôts d’évaporites d’une puissance de plus de 1 500 mètres enregistrés localement ne peuvent donc être expliqués que par des apports quasi-permanents mais de volume restreint par surverse d’eaux océaniques atlantiques. Les données actuelles laissent à penser que ce remplissage se réalisait dans un secteur géographique proche de l’actuel détroit de Gibraltar.

Le retour des conditions marines a été soudain et la phase de stabilisation définitive des conditions marines qui a suivi a été probablement inférieure à 20 000 ans. Le changement de valeurs isotopiques de l’oxygène d’un pôle continental vers un pôle marin se fait pendant un intervalle stratigraphique très réduit, de quelques centimètres. Dans les bassins périphériques, une importante surface d’érosion recoupe profondément les évaporites et pourrait traduire la brutalité du remplissage.

La réouverture des communications Atlantique-Méditerranée est attribuée à la rupture du seuil de Gibraltar par creusement liée à l’érosion régressive d’un fleuve qui, pendant la phase d’abaissement du plan d’eau, s’écoulait le long du rebord méditerranéen de l’isthme de Gibraltar pour se jeter quelques 1 500 mètres plus bas dans les lagunes résiduelles. Une structure, pouvant être suivie sur au moins 300 km vers l'est, a été identifiée récemment (2018) par sismique en mer d’Alboran et pourrait correspondre à ce chenal de creusement. Sans cet événement, la mer Méditerranée serait devenue un grand lac intérieur, faiblement salé, à l’image de l’actuelle mer Caspienne.

Les conséquences

L’évènement messinien déclenché à 5.97 Ma n’a été que de courte durée pour sa phase paroxysmale (160 000 ans), Mais celui-ci a eu un impact différé sur plus de 4 millions d’années avec le comblement sédimentaire des canyons sous la forme de Gilbert deltas. Les conséquences de cet évènement sont parfois inattendues comme la modification des cours des rivières, ou la réorganisation des systèmes karstiques. Même si les incisions fluviales liées à cet évènement eustatique hors norme sont quasi « cicatrisées », les traces de ce bouleversement environnemental restent visibles dans les paysages avec les surfaces morphologiques et stratigraphiques repères.

1) Le creusement messinien de canyons :

L’abaissement d'environ 1 500 mètres du niveau de base pendant la phase paroxysmale de la crise a conduit les principaux fleuves périméditerranéens à surcreuser profondément leur lit pour rétablir leur profil d’équilibre sur plus de 600 kilomètres le long du Rhône et plus d’une centaine de kilomètres de long du Var ou de la Durance. Cette érosion régressive a donné lieu à la formation de profonds canyons dont le fond est aujourd’hui bien plus bas que le niveau marin actuel. Le canyon du Rhône atteint 1 300 m de profondeur au droit du littoral actuel et sous la Camargue dans la région de Charnier, la profondeur du canyon de la Durance reconnu en sismique et par forage est de 1 050 m. Ces canyons messiniens sont maintenant en majeure partie comblés par des sédiments d’âge pliocène et des alluvions quaternaires, mais leur partie sommitale reste visible notamment au franchissement de clues :
- l’exemple le plus spectaculaire est la Clue de Mirabeau ;
- un autre exemple de canyon creusé au Messinien est le franchissement des Alpilles par l’ancien cours de la Durance au niveau du Vallon des Glauges, situé à l’Ouest d’Eyguières.
Le creusement des canyons du Verdon, du Cians et celui de Daluis par le fleuve Var, aboutissant aux spectaculaires gorges éponymes, a été facilité par la baisse du niveau de base lors de l’événement messinien.

2) L’ennoiement des canyons : les rias pliocènes


Au début du Pliocène, les canyons messiniens ont été envahis par la mer pour former des rias qui remontaient jusqu’en amont de Lyon pour le Rhône, jusqu’à Oraison par la ria de la Durance ou jusqu’à Assouan pour le Nil soit pour ce dernier à plus de 1 000 km en amont du rivage méditerranéen actuel. Les parois des canyons inondés sont souvent caractérisées par des perforations d’animaux lithophages et par le placage d’huîtres fossiles. Tel est le cas d’une paroi fossile du canyon messinien de la Durance qui forme actuellement la bordure nord du lac de Saint-Christophe.

3) Le comblement des rias pliocènes avec construction de Gilbert deltas


Les Gilbert deltas se forment dans des milieux côtiers abrupts avec un arrière-pays fortement penté, et se distinguent des deltas de plate-forme par un angle de dépôt des sédiments très prononcé (10° à 35°), et une sédimentation généralement plus grossière, qui est dominée par des avalanches de turbidites sous-marines le long d’un talus progradant.

Représentation d’un Gilbert delta avec trois surfaces-repères liées à la Crise messinienne
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Représentation d’un Gilbert delta avec trois surfaces-repères liées à la Crise messinienne (CLAUZON, 1990, HIPPOLYTE J-C., SUC J-P., GORINI C., RUBINO J-L., DO COUTO D. La Méditerranée s’assèche à la fin du Messinien, 2021 in Bourideys J. [coord.], 2021 – Roches et paysages des Bouches du Rhône. BRGM Editions, Orléans).

Les Gilbert deltas succédant à l’épisode messinien sont reconnaissables par l’organisation des sédiments déposés en contexte sous-aquatique et subaérien. Ils sont constitués par un prisme sédimentaire marin, caractérisé par des couches généralement inclinées appelées « foreset beds », et des couches plus profondes et plus argileuses appelées « bottomset beds »). Ce prisme marin est surmonté par un prisme continental, caractérisé par des dépôts alluviaux sub-horizontaux souvent grossiers à très grossiers appelés « topset beds ». Les « foreset beds » sont séparés des « topset beds », continentaux, qui les surmontent, par une surface diachrone appelée la transition marin-continental pliocène.

Modèle de remplissage des canyons messiniens, avec construction d’un Gilbert delta (cas du canyon du Var)
Modèle de remplissage des canyons messiniens, avec construction d’un Gilbert delta (cas du canyon du Var). © J-C Hippolyte, 2021.

Ces Gilbert deltas pliocènes peuvent être appréhendés :
- au niveau de la basse vallée du Var à Nice.
- près d'Eyguières dans le défilé de Saint-Pierre de Vence ou Roquemartine, qu’on appelle couramment le Vallon des Glauges.
- formation conglomératique supérieure de Valensole.
- on retrouve aussi les « topset beds » préservés, un peu en amont d’Arles, associés à la ria du Rhône dans le défilé de Vacquières près de Théziers au débouché du fossé de Pujaut.

Le prisme marin du canyon de la Durance, comme celui du Rhône, est caractérisé à l’affleurement par une grande épaisseur d’argilites bleues litées. La transition marin-continental est marquée dans le canyon de la Durance par 10 à 20 mètres de grès à litages obliques déposés par des chenaux de distribution dans un environnement littoral de delta, comme l’indiquent la faune (pectens, oursins, etc.) et des rides de vagues. Ces grès passent ensuite progressivement à des dépôts subaériens fluviatiles représentés par les conglomérats qui forment la première nappe alluviale des « cailloutis » (galets et graviers) de la Crau.
Le comblement de l’ensemble des rias pliocènes a été très rapide. Il s’est achevé pendant le Pliocène inférieur (Zancléen), avec la régularisation du trait de côte. Ainsi parle-t-on de Gilbert deltas zancléens.

4) La surface d’abandon pliocène et le détournement des cours des rivières

Le colmatage (remblaiement) du réseau hydrographique messinien se termine avec la formation d’une surface topographique appelée surface d’abandon pliocène qui marque la fin de l’aggradation du prisme continental. Les exemples de cette surface les plus remarquables en Provence sont le plateau de Valensole et la plaine de la Crau (sommet des alluvions de la Vieille Crau).

L’aggradation (empilement vertical des dépôts) s’est arrêtée avec l’apparition des variations eustatiques du Quaternaire, vers 2,6 Ma. Cette date de fin d’aggradation se retrouve également pour le plateau de Valensole et dans la Vallée du Var. L’aggradation considérable des Gilbert deltas ayant remblayé les canyons messiniens, est à l’origine du détournement hors de ces derniers des cours des rivières. Ce mécanisme est proposé pour les gorges du Var où le cours actuel du fleuve est localement déconnecté du canyon messinien du Var situé plus à l'est et pour la Durance en amont de la Clue de Mirabeau.

Principe de l’extraction d’une rivière de son canyon messinien par épigénie d’aggradation au Pliocène et Quaternaire inférieur
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Principe de l’extraction d’une rivière de son canyon messinien par épigénie d’aggradation au Pliocène et Quaternaire inférieur. ©J-C Hippolyte, 2021.

5) Impacts du l’évènement messinien sur les réseaux karstiques

La chute du niveau de base qui a dépassé 1 000 mètres de hauteur pendant la crise, a généré une intense karstification des massifs calcaires périméditerranéens jusqu’à une profondeur très grande sous le niveau actuel de la mer Méditerranée. Ces réseaux karstiques profonds réennoyés lors de la remise en eaux au Zancléen seraient à l’origine des résurgences sous-marines d’eau douce que l’on connaît en de nombreux endroits près des côtes actuelles :
- la résurgence de Fontaine de Vaucluse est issue du cycle eustatique Messinien-Pliocène, avec un karst qui descend à plus de 224 m sous le niveau de la mer ;
- la source sous-marine de Port-Miou est également une conséquence du cycle eustatique messinien-pliocène tout comme, très probablement, le poljé de Cuges.

Des portions de ces réseaux karstiques ont pu être colmatées par des sédiments marins du Pliocène comme le conduit observable au fond des Gorges de Régalon, sur le versant sud du Luberon.

6) Le rebond isostatique

Il est responsable du volcanisme et, à travers la réactivation de failles, d’un exhaussement général de la région d’environ 100 m au cours du Plio-Pléistocène.

Les manifestations volcaniques les plus récentes en Provence (Évenos et plateau de Maravielle) vers 6 Ma pourraient être en relation avec la fusion partielle du manteau supérieur, conséquence de sa dépressurisation suite au rebond isostatique lithosphérique provoqué par le délestage généré par l’abaissement drastique, de l’ordre de deux kilomètres, du niveau de la mer Méditerranée occidentale lors de l’événement messinien et qui a amplifié l'activité des volcans. Les résultats de modélisations numériques valident cette hypothèse. Pour le volcanisme varois, il est probable que la fusion partielle ait également été facilitée par l'amincissement de la croûte lors des extensions d'arrière-arc.

Augmentation de l’activité volcanique sur les marges continentales de la Méditerranée occidentale et événement messinien (Université de Genève 2017, modifié).
Augmentation de l’activité volcanique sur les marges continentales de la Méditerranée occidentale et événement messinien (Université de Genève 2017, modifié).

En blanc, la ligne de la côte méditerranéenne telle qu'on la connait aujourd'hui. En bleu, les régions submergées lors d'un abaissement du niveau de la Méditerranée de 2 km, comme ce qui a été proposé pour la crise de la salinité. Les cercles indiquent les centres volcaniques, dont l'activité a augmenté pendant le Messinien (la taille du cercle est proportionnelle à l'augmentation).

Cette synthèse est, pour l’essentiel, inspirée des travaux suivants :

HIPPOLYTE J-C., SUC J-P., GORINI C., RUBINO J-L., DO COUTO D., 2021, La Méditerranée s’assèche à la fin du Messinien, in Bourideys J. [coord.], – Roches et paysages des Bouches du Rhône. BRGM Editions, Orléans) ;
CLAUZON, G., SUC, J.P., GAUTIER, F., BERGER, A., LOUTRE, M.F., 1996, Alternate interpretation of the Messinian salinity crisis: controversy resolved ?, Geology, 24, 4, 363-366 ;
SUC, J.P., GORINI, C., RABINEAU, M., RUBINO, J.L., POPESCU, S.M., LEROUX, E., BACHE, F., DO COUTO, D., MELINTE-DOBRINESCU, M.C., JOLIVET, L., GARGANI, J., LOGET, N., MOCOCHAIN, L., PELLEN, R., HIPPOLYTE, J.C., LE STRAT, P., ASLANIAN, D., 2019, La Crise de salinité messinienne, Géochronique, 151, pp. 24-30. ISSN : 0292-8477 ;
ROUCHY J-C., BLANC-VALLERON M-M., 2006, Les évaporites, matériaux singuliers, milieux extrêmes, Vuibert ;
ROUCHY J-C in JOLIVET L. et al., 2008, Géodynamique méditerranéenne, Vuibert.

Le lien entre rebond isostatique et magmatisme se réfère à l’article :
STERNAI P., CARICCHI L., GARCIA-CASTELLANOS D., JOLIVET L., SHELDRAKE T., CASTELLTORT S., 2017, Magmatic pulse driven by sea-level changes associated with the Messinian salinity crisis, Nature-géosciences.
     
Le creusement messinien de canyons
 

Le vallon des Glauges (13)

La clue de Mirabeau (13/04)

Le canyon d'Oraison (04)

Les gorges du Verdon (04/83)

Les gorges du Cians (06)

Les gorges de Daluis (06)

 

 

L’ennoiement des canyons : les rias pliocènes
 

Le canyon de la Durance en bordure nord du lac de Saint-Christophe (13)

La clue de Mirabeau (13/04)

Le canyon de la Durance dans le vallon des Glauges (13)

 

Le comblement des rias pliocènes avec construction de Gilbert deltas
 

Ria de la Durance au vallon des Glauges (vallée morte de la Durance) (13)

Ria du Rhône : défilé de Vacquières (Théziers) au débouché du fossé de Pujaut (30).

Ria du Var à Nice (06)

 

Les surfaces d’abandon pliocènes
 

La formation conglomératique supérieure du plateau de Valensole (04)

Les alluvions de la Vieille Crau (13)

 

Le détournement des cours des rivières
 

La Durance en amont de la Clue de Mirabeau (04)

La Durance au seuil de Saint-Pierre de Vence (Vallon des Glauges) (13)

La plaine du Var (06)



L’impact sur les réseaux karstiques
 

La résurgence de Fontaine de Vaucluse (84)

La source sous-marine de Port-Miou (13)

Le poljé de Cuges (13)

Les gorges de Régalon (84)



Le rebond isostatique





 

L’exhaussement général

- Positions actuelles des surfaces miocènes d’érosion marine

Le volcanisme associé

- Basalte transitionnel mio-pliocène de la région toulonnaise (6,7 à 5,8 Ma) (83)

- Basalte alcalin du plateau de Maravielle (5.53 ± 0.10 Ma) (83)

• 01/2022 • Les auteurs • Les sources documentaires •
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